Certains pensent qu’un espion doit s’habiller de manière à ne pas attirer l’attention. Un costume cravate, ou un simple T-shirt accompagné d'un pantalon, voire une robe aussi banale que possible. Pourtant la vérité est que même des tenues plus extravagantes font parfaitement l’affaire, ce qui compte c’est que les civils vous attribuent mentalement un rôle logique dans leur vision de ce qui est habituel. Une fois que cela est fait, leurs cerveaux vous considèrent comme faisant partie de la norme et cessent de vous trouver étrange. Ainsi Datura qui se promenait dans la ville habillée de sa blouse, portant une mallette à son côté, tous les citoyens ne faisaient que l'enregistrer comme une médecin partant en visite chez un client, quel que soit le jour et l’heure cette explication pouvait toujours satisfaire. Ainsi alors que l’agent traversait Ecumexy, personne ne se demandait pourquoi elle passait par le même chemin emprunté quelques minutes plus tôt par un célèbre cuisinier.

Bien entendu, la dirigeante du CP0, elle, savait parfaitement ce qu’elle faisait. Rencontrer cet homme était une étape clé de ses plans pour la suite de ses opérations. Le processus avait été établi par élimination.

Elle ne souhaitait pas s’asseoir derrière un bureau et ne sortir en mission que pour des situations exceptionnelles comme son prédécesseur. Elle ne pouvait pas non plus se promener au grand jour auprès de navires de la marine traversant le nouveau monde trop souvent, cela finirait tôt ou tard par compromettre son identité de Cleanser qu’elle avait eu tant de mal à construire auprès du public. Il restait donc une dernière solution : se positionner sous couverture civile dans un lieu suffisamment bien placé pour lui permettre d’agir. Or, le lieu idéal pour cela allait bientôt exister et serait sous la coupe de l’homme qu’elle était entrain de suivre.

Elle s’arrêta un instant, remarquant que la piste menait dans une forêt. S'était-elle trompée ? Avait elle été repérée ? Il semblait curieux qu’il se dirige dans un lieu isolé sans raison, à part si c’était pour éliminer discrètement un poursuivant. Datura soupire, elle compte de toute manière se révéler, de fait ça tombe bien. Elle continue donc d’avancer, traversant la nature que la nuit tombante rendait calme et apaisante. Vidant son esprit, l’agent spéciale continue, ses sens à l'affût finissent par détecter du bruit, de légers sons métalliques et une voix lointaine. Satisfaite, la peste progresse plus profondément dans la forêt, prête à faire face à une possible embuscade, mais pas à tomber sur une magnifique collation sur une table dressée en pleine forêt.

“Ah ?”

Le son interloqué avait échappé à l’agent avant même qu’elle ne sache si le cuisinier l’avait entendue arrivée. Agacée par sa propre bêtise, elle se passe doucement une main sur le front avant de se concentrer sur la personne dont elle interrompt manifestement le moment de détente. Son regard scanne la scène, à la recherche de quelque chose de pertinent à dire, finalement elle se raccroche au peu qu’elle parvient à déduire.

“Navrée de vous déranger. Je cherchais à rencontrer le cuisinier légendaire, mais je ne m’attendais pas à le surprendre en pleine pratique de son art.”

La supposée médecin ne retint pas un sourire ironique quand la première réplique de son interlocuteur fut de pointer l’étrangeté de sa blouse en ces lieux. Elle devait l’admettre, l’excuse du médecin en visite n’avait pas grand intérêt une fois éloigné du milieu urbain. Fort heureusement ce n’était pas lui qu’elle souhaitait tromper avec cette tenue mais les gens qu’elle avait croisés plus tôt. De fait, ce n'était pas totalement un fiasco. Elle finit par s’exprimer avec une pointe d’ironie.

“Bien entendu, je ne compte pas insulter votre intelligence en prétendant ne pas être là pour vous parler.”

Tant qu’il ne devenait pas agressif, la mission allait de bon train, or le cuisinier semblait suffisamment affable pour rester ouvert à la conversation, tout se passait donc bien. Datura avançait de quelques pas, son regard se posant sur la magnifique tablée pendant un court instant avant de repartir sur son créateur. Elle n’avait aucune raison de mentir sur son identité outre mesure étant donné l’offre qu’elle comptait proposer.

“Je me nomme Datura, mais vous avez peut-être plutôt entendu parler de Cleanser, je travail comme médecin itinérante sur les îles alentours.”

Datura accompagne sa présentation d’un petit geste de la main évasif, comme pour diminuer l’importance de ses propos, après tout qu’il ait entendu parler de Cleanser où non, cela n’avait pas d’importance. Elle cherchait encore comment accrocher son interlocuteur pour faire évoluer la conversation vers ses objectifs quand soudain ce dernier, de quelques gestes experts, ajouta une nouvelle place sur sa tablée de fortune en invitant Datura à l'y rejoindre.

“Avec plaisir.”

Se contentait-elle de répondre avec un sourire qu’elle contrôlait pour sembler naturel. C’était davantage une perte de temps qu’autre chose à ses yeux, mais vexer un cuisinier renommé en refusant sa nourriture aurait été une horrible idée. L’agent voyait le fait de manger comme équivalent à ingérer les calories nécessaires au fonctionnement de son corps et c’était tout, entre Scrap harvest, le camp d'entraînement et la vie d’agent , elle n’avait pas prit l’habitude d’apprécier les plaisirs les plus raffinés. Pourtant quand elle s’assit devant l’assiette froide, cherchant encore comment ramener la conversation vers ce qui l’intéressait, elle fuit distraite.

L’assiette qui lui faisait face était magnifiquement présentée, on aurait pu croire à une peinture où la viande, centre de la pièce aux couleurs rosées était découpée avec une telle finesse et régularité que l’on pouvait mettre en doute qu’une main humaine en était la cause, avait été disposée pour être sublimée par les purées et légumes aux couleurs plus vives. C’était sans parler des douces odeurs de ces derniers, subtiles et fraîches comme un champ d’herbes aromatiques au printemps. Datura cligna des yeux, se rendant compte qu’elle fixait l’assiette depuis quelques secondes maintenant.

“Em…je ne vais pas vous faire l’affront d’ignorer cette nourriture en parlant.”

Finit elle par prononcer, autant pour remplir ce silence gênant que pour se convaincre elle même que goûter ce plat immédiatement n’était pas simplement un caprice personnel, mais bien crucial à la mission. Aussi, d’un geste aussi précis et minutieux que si elle pratiquait une chirurgie à cœur ouvert, Datura se saisit d’un pain pita, l’ouvrit délicatement puis vint y faire glisser l’une des magnifiques tranches de viande crue, se sentant presque coupable de briser le tableau. Enfin, elle laissa le pain ouvert pour faire glisser la viande sur la purée orangée qui émettait une douce odeur de curry et compléta le tout avec l’un des légumes déposés à côté. Finalement, elle porta le final à sa bouche pour en croquer un morceau.

Soudain, pendant un bref mais glorieux instant, elle n’était plus au fin fond d’une forêt quelconque, mais bien portée dans un pays merveilleux. Une plage de pain croustillante et chaude qui plongeaient dans une mer à la douce odeur de curry pour y découvrir des trésors merveilleux de viandes au parfum subtil qui en tapissait le fond.

Quand elle revint à elle, elle avait déjà terminé le pain. Clignant des yeux un instant, elle finit par reprendre conscience de la raison de sa présence et toussota avant de rapidement retirer une miette sur le coin de sa bouche et de s’exprimer, gênée de s’être si aisément laissée aller.

“C’est em…excellent oui, vous êtes à la hauteur de votre réputation.”

Elle hocha la tête, se retint de prendre une autre bouchée immédiatement et avala une gorgée d’alcool à la place. Elle manqua de perdre sa concentration une seconde fois quand le délicieux liquide caressa ses papilles encore influencée par le plat pour former un mélange divin. Cependant, cette fois elle y était mentalement préparée et se contenta d’un sourire avant de s’exprimer avec concentration.

“Je ne vais pas nous faire perdre notre temps avec des chemins détournés : je suis venue ici pour vous offrir une entente au sujet de votre projet d’île volante. Je souhaite en faire partie.”

Le regard de l’agent était droit et clair, sans une once de doute. Elle était déjà convaincue du bien-fondé de son plan du point de vue du Gouvernement, mais si en plus cela lui permettait de goûter à de telles merveilles régulièrement alors cela valait définitivement le coup.

Datura pu facilement remettre les pièces ensembles, en effet elle se souvenait que le père du dénommé Kyo était médecin, l’information lui était apparue au détour des enquêtes préliminaires, elle n’imaginait pas cependant que cela lui donnerait une telle fascination pour le métier, ou au moins un intérêt poussé. Il faut dire que l’agent manquait quelque peu de pratique en relation parentale standard, il ne lui était pas aisé de comprendre réellement comment un enfant normal voyait un père normal. Bref, rien de grave, au contraire, c’était un angle qui l’arrangeait dans ces négociations.

Oui, on pouvait encore parler de négociations, après tout, malgré son attitude avenante, Datura n’était pas dupe : le cuisinier n’avait pas encore dit oui. La question qui suivit était donc en réalité plus qu’une simple curiosité, mais bien une base sur laquelle le blond comptait se reposer pour juger le caractère d’une potentielle partenaire d’affaire. Du moins c’était ainsi que l’esprit d’analyse de l’agent le voyait.

“Vous me flattez. Votre réputation de cuisinier surpasse très aisément ma réputation de médecin.”

Elle décida de gagner du temps avec cette réponse polie à sa réplique précédente, et encore un peu plus en se servant une savoureuse bouchée de plus. Cette fois son choix se porta sur celle à la couleur vert pomme qui rafraîchit les idées de l’agent avec son agréable saveur de menthe fraîche transportant son goûteur dans une calme montagne au milieu d’un frai printemps.

Se rendant compte qu’elle s’était concentrée sur le goût et avait encore une fois oublié de se concentrer sur sa réponse, Datura se gourmenda mentalement pour son manque de présence d’esprit avant de revenir sur la conversation.

La question était simple, elle devait parler de ses motivations à devenir médecin. Une vérité totale était évidemment hors de question dans l’immédiat. Cependant, elle le savait de part son expérience d’agent infiltrée, un mensonge trop éloigné de son vrai état d’esprit finirait par se voir sur le long terme. Aussi Datura construit méthodiquement sa réponse, utilisant le réel fond de ses pensées, mais exploitant les bons mots pour le rendre acceptable auprès d’un potentiel idéaliste.

“Si vous espérez la réponse idéale du médecin passionné, je risque d’être un peu déçue. Je pense simplement que nous avons tous des talents, que ce soit le combat, la cuisine ou la médecine. Que ce soit par génétique ou par compétences développées par la force des choses, ces talents font qui nous sommes. Si avec tous ces avantages qui me permettent de pratiquer mon art à un niveau où je peux causer une telle différence, je n’avais pas poursuivi cette voie, ça aurait été le comble de la paresse.
Tout comme cela aurait été une énorme perte pour l’humanité si vous n’étiez pas devenu cuisinier.”

Datura offrit un sourire ironique à Kyo, pour appuyer davantage son trait d’esprit amusé que ses propos plus durs. Elle termine ensuite son pain encore porteur de la délicieuse purée, montrant qu’elle pensait sans l’ombre d’un doute au minimum la dernière phrase qu’elle avait prononcé.

La tension était à son comble, du moins pour Datura, Kyo lui semblait simplement prendre plaisir à poser la question et pondérer la réponse. Cependant, pour la demandeuse de logement sur la future île volante, le fait que le blond accepte ou non sa proposition était une question absolument cruciale. De fait, un refus de sa part l’obligerai à perdre un temps considérable à chercher un meilleur endroit, probablement sans rien trouver d’aussi idéal.

Pourtant ce n’est absolument pas ce qui se passa, au contraire, le cuisiner sembla transposé d’inspiration et engagea une tirade à l’énergie et la passion débordante, devant laquelle Datura ne put qu’écouter, une expression de surprise non feinte sur le visage. Elle savait bien que les artistes étaient des gens étranges, mais tout de même…

Les paroles du cuisinier autant de métier que de passion manifestement, continuaient de pleuvoir sur la pauvre agent qui devait leur trouver une réponse. Elle faillit baisser sa garde et lui demander de se calmer, cependant, elle continua de garder une dose de méfiance permanente en elle. En particulier une suspicion : essayait-il de la faire s’exprimer davantage pour jauger si elle lui cachait quelque chose. Datura décide donc pour l’instant de gagner de gagner du temps.

“Et bien, quand vous êtes lancé, votre motivation est on ne peut plus impressionnante, j’imagine que seul quelqu'un d'aussi passionné peut parfaire son art comme vous l'avez fait.”

Elle se masse la tempe du bout des doigts, comme pour mettre en valeur son mal de crâne qui commençait à revenir. Puis prit une autre gorgée de la succulente liqueur, rapidement suivie d’une bouchée du léger carpaccio. Ces quelques gestes, en plus de lui apporter une grande satisfaction culinaire, lui permirent de remettre ses idées en place et de continuer.

“Je me permet cependant de marquer une légère différence. La médecine, à mes yeux, contrairement à la musique et la cuisine, n’est pas un art autant qu’une profession. La passion, la flamme comme vous l’appelez et qui vous inspire à pousser plus loin vos idées culinaires. Chez le médecin cette flamme doit être contrôlée, maîtrisée, canalisée pour servir une tête froide et méthodique avant tout.”

Encore une fois, ces propos valaient autant pour sa couverture de médecin que pour son travail d’agent spécial. Elle devait garder la tête froide et efficace, car si elle laissait sa vraie passion s’exprimer, personne ne trouverait ça aussi beau et agréable que la cuisine de Kyo. La passion pour la déconstruction de l’espèce humaine par les maladies ne se partageait pas comme la cuisine ou la musique, c’était une activité fondamentalement unique à Datura, et ça lui allait très bien comme ça.

“Enfin, je comprends que vous soyez curieux, nous venons à peine de nous rencontrer après tout. J’ai pourtant peur de ne pas pouvoir apporter de réponses aussi inspirées que vos questions.”

Jusque là tout va bien. Datura savourait la nourriture et l’alcool tout en parvenant à trouver des réponses convaincantes sans s’obliger à créer un personnage qu’elle aurait du mal à jouer sur le long terme. Satisfaite, elle s’offrit une autre boucher du délice de viande froide et de légumes frais alors que Kyo finit par annoncer ce qui ressemblait à un début d’accord officieux. Il détailla les règles, enfin surtout la règle à respecter pour se voir octroyer une place sur le navire. Datura prenait la question au sérieux et son expression le montrait, hochant la tête aussi gravement que brièvement à l’explication claire de son futur propriétaire terrien.

“Je comprends parfaitement. Je trouve même cette règle rassurante, je n’ai aucune intention de nuire aux activités des autres et je trouve ça appréciable qu’ils en fassent de même pour les miennes.”

Elle avait commencé à enquêter sur les autres locataires potentiels et, pour l’instant, ne voyait aucune raison d’entrer en conflit avec eux. Au contraire, certains profils représentaient de potentiels alliés ou au moins contacts dignes d’intérêts. Cette règle lui permettait donc simplement de garantir davantage de souplesse d’action pour elle-même, avec le bon argument.

“Mes spécialités en médecine sont les maladies et les pathogènes. Je compte faire construire une zone sécurisée pour les pratiquer. Il va sans dire qu’il serait extrêmement dangereux pour la personne et pénible pour moi si quelqu’un d’autre venait à y rentrer. Si une règle interdit aux autres occupants de me causer du tort en s’y rendant alors je suis d’autant plus rassurée.”

Insister sur cette demi vérité allait lui permettre d’obtenir une zone fermée où travailler et passer des appels confidentiels sans risque de dérangement, ce qui était essentiel à son travail. Ainsi, tout était optimal, l’accord du blond arriva à la suite, et détendue et satisfaite, Datura retourna piocher dans l’assiette pour savourer un autre pain à pita rempli des délicieuses purées et de tranches de carpaccio. Quand soudain, alors qu’elle allait porter la nourriture à sa bouche, son instinct l’arrêta. Elle pouvait le sentir, le haki de cet homme se concentrait. Et au vu de ses paroles elle commençait à se douter d’où les choses allaient.

Datura suivit Kyo des yeux alors qu’il se levait et déclarait le simple contenu de ce dernier test et montrait à quel point il était sérieux. Un frisson parcourut la nuque de Datura qui parvint à garder le visage stoïque au prix d’un effort de volonté. Les rumeurs et enquêtes ne mentent pas dans le cas présent, ce type est fort, incroyablement fort même pour un civil. L’agent soupire, et d’un regard, active l’une de ses maladies. L’os à tueur entre dans le corps de l'épéiste, entamant l’affaiblissement de la structure osseuse avant même que la médecin ne se lève. Elle n’était pas dupe, face à un type au Haki aussi monstrueux, ce virus n’aurait qu’un effet très limité. Cependant, si il pouvait augmenter ne serait ce que légèrement l’impression d’impact des coups de Datura sur le cuisinier, alors ce serait un début.

Bien qu’agent soit le métier principal de la médecin, ses connaissances en médecine n’étaient absolument pas fausses. Elle savait que l’un des os les plus fragiles du corps humain se trouvait dans le poignet. Si l'épéiste expérimenté sentait sa prise affaiblie par les coups de Datura, il serait bien forcé d'admettre sa force. Du moins c’était le plan. Dans la pratique, au vu de la puissance de Kyo et du peu de temps qu’avait la maladie pour faire son office, elle n’espérait pas de miracles.

Elle décida donc de gagner quelques secondes de plus, montrant d’un air joueur la pita qu’elle portait encore en mains pour faire comprendre au cuisinier qu’elle ne comptait pas la gâcher. Elle termina donc le délice en quelques bouchées, prenant le temps de savourer chacune d'entre elles, puis, enfin se leva pour aller se placer à quelques mètres du blond. Poussant un soupir, elle commente.

“Tout revient toujours à la bagarre sur ces mers, c’en est presque lassant.”


Les deux postures différaient grandement, l’aura du cuisinier était omniprésente, celle de Datura était inexistante. Pour un combattant standard elle aurait semblé totalement incapable de se défendre, mais pour un expert du haki c’était davantage comme contempler une zone d’ombre en plein milieux d’une pièce éclairé, il y avait quelque chose de malsain.

D’un coup, tel un pistolier dégainant pour un duel, Datura leva la main droite vers le cuisinier, en position de pichenette et d’un coup sec tira un shigan à distance. L’attaque fonçait droit vers le visage du blond et fut suivie par une deuxième tirée de la main gauche de Datura, restée au niveau de sa ceinture, visant aussi le visage mais par un angle différent. Avant que les premières attaques n’arrivent au niveau du cuisinier une deuxième salve partie, même cible, même angle. La méthode était simple : forcer le cuisinier à parler devant son visage pour sortir de son champ de vision un court instant. Il pouvait tenter l’esquive bien sûr, mais c’était rarement le premier instinct des sabreurs.

Une fois les attaques en chemin, Datura utilisa le soru. Elle avait volontairement utilisé le shigan à distance pour éviter d’être reconnue comme agent, après tout elle savait que des crétins du CP9 travaillent ici, qui sait combien de technique du Rokushiki classique le cuisinier avait vu, elle devait privilégier les techniques évoluées, moins reconnaissables. Le soru cependant, ressemblait suffisamment à un simple mouvement très rapide pour qu’elle puisse se le permettre. Elle tenta donc d'apparaître dans le dos du sabreur et de placer ses poings pour un Rokuogan, les deux poings noircies par le haki de l’armement interne alors qu’elle tentait de viser le dos du cuisinier, ou au moins de bien le secouer si il parvenait à se retourner pour se défendre.

Le choc eut lieu, comme Datura le craignait, l'épéiste était bien trop rapide pour être surpris par une telle attaque. Ainsi elle se retrouvait à devoir entrechoquer son attaque avec le meito renforcé de haki du cuisinier. L’impact du Rokuogan, habituellement capable d’éliminer même les combattants les plus aguerris, était ici tenu en respect par la puissance brute du haki qui lui faisait face. Datura le sentait, elle ne gagnerait pas le duel de puissance brute. Pourtant elle ne lâcha rien, jouant sur sa dernière carte : son fruit du démon. Si elle parvenait à atteindre un niveau de puissance critique, alors peut-être qu’elle avait une toute petite chance de s’en sortir. Et finalement, alors que l’énergie du Rokuogan s’apprêtait à s’estomper, un minuscule craquement se fit entendre. Un sourire aussi soulagé que satisfait apparut sur le visage de la médecin alors que son adversaire prit la décision intelligente d’immédiatement amortir le choc en se laissant projeter en arrière.

Datura prit une longue inspiration pour laisser sortir la pression accumulée. Avec toute cette intensité créée par le haki du blond, elle en avait presque oublié que ce n’était qu’un test et pas un combat à mort où sa tête aurait pu rouler au sol si Kyo était parvenu à contre attaquer. La prétendue médecin s’époussette la blouse en jetant un œil à l'épéiste.

“Est ce que cela suffira ?”

Elle pensait enfin voir le bout, mais non, la réponse de Kyo fut une douche froide sur tous ses espoirs que cet échange se conclue dans le meilleur des scénarios. Non seulement il avait reconnu les techniques utilisées, mais en plus il avait des suspicions dès le départ. Datura, excédée, se passe la main sur le visage et finit par lâcher d’un ton qui contraste fortement avec son attitude de gentille et travailleuse médecin montrée plus tôt.

“Putain ! A quoi ça sert d’avoir un art martial secret si c’est pour que tout le monde puisse le reconnaître ?! Qu’est ce que c’est que ces crétins qui montrent tous nos tours avant de perdre comme des boulets ?!”

L’agacement ni feint ni caché était à présent visible sur ses traits alors qu’elle remplaçait une mèche tombée sur son front lors du choc précédent. En réalité elle était plus énervée contre elle-même que contre ses subalternes : elle avait fait erreur. Elle s’était battue comme une assassin par manque de confiance en sa puissance normale, quand un simple coup chargé de haki aurait potentiellement suffit à convaincre de ses capacités. Mais nooooon, il fallait qu’elle se laisse emporter.

Datura prend une longue inspiration à nouveau ; elle doit se calmer. Tout n’est pas encore perdu, elle passe simplement du scénario A où elle pouvait rejoindre le navire sans mentionner le gouvernement, au scénario B où elle devait jouer plus cartes sur table. Dommage, mais toujours jouable.

“Bon, j’imagine que c’était trop optimiste de partir du principe que toutes ces informations pourraient rester cachées…”

Elle observe le blond de haut en bas. Elle avait senti qu’en termes de vitesse, de puissance ou d’intensité du Haki, elle ne pourrait pas rivaliser entièrement. Même avec un poignet entamé, l'épéiste parviendrait à la tuer avant que le maladie ne devienne suffisamment grave pour faire pencher la balance, en admettant que la maladie puisse même atteindre ce stade dans un corps aussi chargé de haki surpuissant. Tourner cela en affrontement n’était dans l’intérêt de l’agent ni à court terme, ni à long terme. C’est donc avec un calme retrouvé que la dirigeante des agents spéciaux décide de s’exprimer en tant que telle.

“Comme tu dis je suis une représentante du Gouvernement Mondial. Cependant, je n’ai pas menti : mon objectif n’est pas de nuire à qui que ce soit sur ton futur navire volant ou même à toi d’ailleurs.”

La dirigeante ponctua sa phrase d’un haussement d’épaule, étrangement plus détendue que plus tôt malgré la tension qui s’était décuplée, comme si laisser tomber son rôle l’avait ôtée d’un poids. Elle jauge le cuisinier clairement sur ses gardes. Se rend-il compte qu’elle n’a pas encore retiré sa maladie par sécurité ? Au vu des sens aiguisés et de l'instinct accru dont il avait fait preuve jusque-là, il n’était pas impossible qu’il ait déjà réalisé que ses os subissent quelque chose d’anormal. Elle décide cependant de ne rien faire pour le moment, si les choses tournaient tout de même au combat, elle devait avoir tous les avantages disponibles pour survivre.

“Le Gouvernement et moi-même apprécions ton initiative et ton art. Si je suis ici c’est car d’une part en faire partie m’offre des avantages non négligeables dans mes propres projets, et d'autre part l’absence d’hostilité du Gouvernement envers vos affaires, à toi et tes partenaires, me permet de justifier une possibilité d’entente.”

Elle secoue la tête, comme pour mettre de côté ce qu’elle venait de dire. Elle sentait bien que ce n’était pas comme ça qu’elle allait le convaincre. Se montrer mielleuse n’aurait plus d’effet ici, il fallait faire un geste concret.

“Bah ce n’est pas ce genre de baratin officiel qui va te convaincre. Disons qu’en signe de bonne fois, je t’autorise le privilège rare de me poser quelques questions, et en guise de bonne fois, je ferai mon possible pour y répondre honnêtement cette fois.”

Comme pour montrer davantage qu’elle ne comptait plus attaquer, l’espionne plaça ses mains dans les poches de sa blouse. Bien sûr ce geste n’était qu’un début, les deux individus étaient encore debout, l’un armée et l’autre n’ayant pas désactivé sa maladie. Il était maintenant question de savoir si cette conversation allait se terminer à nouveau autour de la table, ou bien moins sereinement.

Finalement, la situation était bel et bien rattrapable, malgré l’agacement manifeste de la directrice du CP0, elle gardait comme priorité évidente l’établissement de cette entente, si précieuse à ses projets. Cela ne l’empêchait pas d’être, parallèlement à ça, extrêmement agacée par la manière dont elle s’était révélée, et les implications de cette dernière. Poussant un autre soupir audible aux paroles de Kyo, elle ajoute donc.

“Ne me parle pas de ces deux-là. De tous les efforts que je fais pour que cette entente se passe bien, ne pas punir ces abrutis est certainement le plus exigeant mentalement.”

La prétendue médecin se masse à nouveau les tempes comme à son habitude et laisse le blond enchaîner les questions et affirmations. Il pesait le pour et le contre de l’offre, et en dehors de simples hochements de tête, Datura ne semblait pas avoir à ajouter grand-chose pour le laisser se convaincre lui-même que l’accord lui serait bénéfique.

De toute manière, l’agent avait bien compris que l’approche calculée et mielleuse fonctionnait mal avec lui et n’avait fait que le mettre sur ses gardes. Alors qu’au contraire, montrer son agacement sans filtre semblait avoir détendu l’atmosphère. Datura hausse les épaules, se disant que décidément elle ne pouvait qu’admirer le talent de l’agent Roger qui était capable de deviner l’attitude à adopter en quelques instant sans jamais se tromper, elle avait encore beaucoup à apprendre.

“Je ne suis pas idéaliste au point d’attendre de toutes les personnes avec qui je coopère qu’ils s’alignent sur les idéaux du Gouvernement. Mon travail est d’accomplir des objectifs précis par tous les moyens. La suprématie morale, je laisse ça aux politiciens.”

Ce genre de paroles lui auraient valu des regards de travers si elle les avait prononcées devant ses collègues, mais ici elles semblaient non seulement appropriées, mais surtout honnêtes.

Elle écouta ensuite Kyo enchaîner sur la déclaration de son propre rêve. Une confiance en lui et une ambition clairement visibles, démesurées même pour certains, après tout le rêve du cuisinier aurait pu ressembler à celui d’un enfant déraisonnable si il n’avait pas été annoncé par un homme qui avait déjà tant fait sur le chemin vers ce but. Datura posa les yeux sur le carpaccio dont une bonne moitié attendait encore patiemment sur la table de fortune. Peut être bien qu’un type comme lui en était capable ; dans tous les cas  il serait au moins intéressant de le voir essayer. Datura se contente donc de hocher la tête pensive, et n’ajoute rien sur ce point.

Le sujet suivant en revanche, elle allait bien être forcée d’y répondre. Elle se contente d’abord d’un sifflement admiratif, puis hausse les épaules en pesant le pour et le contre. Maintenant qu’il s’en était rendu compte, cacher davantage l’information ne mènerait à rien de bon, elle briserait le peu de confiance qu’il semble prêt à lui accorder. Elle prenait le risque qu’il attaque immédiatement, certes, mais en dehors de sa prudence extrême habituelle, elle n’avait aucune raison de penser qu’il ferait cela au vu de son caractère.

“Impressionant, beaucoup de patients disent connaître leurs corps mieux que quiconque, mais rares sont ceux pour qui c’est réellement le cas.”

La médecin ricane à son propre trait d’humour puis, d’un claquement de doigt en direction du kebabier, lui retire la maladie placée en son corps d’un coup. Ses os retrouvent leur solidité habituelle, bien que la blessure déjà infligée reste présente. Datura hoche la tête, satisfaite, puis commente tranquillement.

“Je ne te fais pas l’insulte d’expliquer ce qu’est un fruit du démon. Le mien est simplement un peu plus discret que la majorité d’entre eux.”

Bien sûr c’est un peu léger comme explication, elle comprend bien qu’en tant qu’unique question posée, le kebabier désire un peu plus pour satisfaire sa curiosité. Elle lui sourit donc, se demandant si elle pouvait en profiter pour s’amuser un peu, après le fiasco de sa dissimulation d’identité, elle est encore frustrée. Elle finit donc par proposer :

“Je peux bien sûr faire pas mal d’autres choses, mais sans volontaire sur qui faire ma démonstration, ce serait compliqué de le montrer.”

La tentation de la curiosité pouvait être puissante, Datura avait espéré s’amuser un peu en jouant sur le désir du blond d’en savoir plus sur les pouvoirs dont il n’avait que vaguement été témoin. Malheureusement il n’était pas suffisamment idiot pour juste se laisser faire pour si peu. Heureusement en revanche, il était assez joueur pour proposer une alternative toute aussi divertissante. Alors que le kebabier s’approchait à une distance peu ortodoxe pour une simple conversation, un sourire fendit le visage de l’agent, qui se contenta de ricaner avant de répondre avec confiance.

“Pourquoi pas ?”

Une fois une distance plus confortable retrouvée, Datura s’amuse encore de l’idée proposée, regardant l’homme si confiant de haut en bas avant de commenter.

“Il faut une sacré confiance pour lancer ce genre de défis à un agent spécial sans fixer de délais. Tu sais que nous avons l’habitude de patienter plusieurs années avant de passer à l’action si cela nous paraît nécessaire.”

Finit elle par observer en continuant de toiser l’auteur du défi avec un sourire ou la confiance et l’amusement se rencontraient. Puis, d’un coup, Datura tape du pied sur le sol à grande vitesse, mimant la préparation d’un Soru, pour finalement ne pas bouger de sa place d’origine, voulant simplement voir à quel point le cuisinier sur ses gardes réagirait.

Avec un petit rire, elle retourne vers la table pour y saisir une autre délicieuse bouchée du plat froid encore disponible, s’assurant que leur choc plus tôt ne l’avait pas couvert de poussière bien entendu. Croquant enfin sa bouchée avec satisfaction, elle ajoute.

“Je peux vivre dans un environnement agréable, goûter à cette délicieuse nourriture régulièrement, prendre tout mon temps, et dès que j’en ai envie : tenter ma chance à capturer un cobaye de luxe. L’offre est si arrangeante que je me sens presque coupable.”

Si l’objectif du cuisinier était de rendre sa bonne humeur à son interlocutrice alors c’était manifestement une réussite. Datura s’assied à nouveau détendue, ne semblant pas pressée de faire sa tentative. Elle comptait bien attendre son moment et montrer à son futur hôte comment un vrai agent d’élite procède. Elle a tout son temps devant elle, et elle compte bien en profiter autant qu’humainement possible.

“J’ai hâte de voir si tu as les nerfs d’aciers et les moyens à la hauteur de tes ambitions, Monsieur le cuisinier.”