Femme fatale un jour, c’est pourtant bien une enfant qui fut témoin de la longue lignée et tradition d’une noble famille du Pays de Wa qui s’était vu confiée, il y a huit siècles une mission bien particulière. Attachés aux rites, aux traditions qui entouraient le Monde mystérieux et à l’écart que formait Wa, c’est à l’âge de dix ans que son grand-père lui apprit à vivre à la manière d’une véritable Oiran de son temps. Si petite, si frêle et pour autant, elle travaillait déjà plus encore que la plupart des hommes à sa manière.

Une éducation vaste et portée sur le Monde qui leur permettait de vivre une vie convenable au quotidien, l’art de se fondre dans la masse, malgré leurs traditions et une mission qui leur fut incombée il y a bien longtemps : retrouver Kyozaburo, qui avait organisé son exil sans l’aval de quiconque.

De fil en aiguille, sa mission prit son sens lorsqu’elle rencontra Kyojuro en personne, Père de Kyo qui à l’époque n’était pas plus grand que trois pommes. Au-delà de retrouver le fantôme d’un Samouraï, la famille Shiranui avait vocation de préserver Enma des griffes de l’extérieur et de veiller sur la famille descendante qui en avait reçu la garde en héritage. Des liens se tissèrent durant les mois où les deux enfants jouèrent ensemble, un temps que Yuna garda précieusement en mémoire, en souvenir qui s’éloignait de plus en plus à mesure que le temps s’écoulait pour la jeune femme, sans nouvelle des deux héritiers de la lame maudite.

Prisonnière de son destin de Gardienne, prisonnière des traditions qui lui semblaient être des entraves perpétuelles et continues, elle gardait la tête haute et la détermination ferme malgré son jeune âge, derrière son maquillage qui dissimulait le tiraillement auquel elle était soumise au quotidien. Pourtant, une lueur subsistait en elle, chaleureuse comme ces petites mains si douces et ces yeux dorés qui s’étaient un jour posés dans les siens.

Elle attendait le retour de cet enfant avec qui elle put partager des moments de plaisir pour la première fois depuis bien longtemps. Des larmes qui ne coulèrent pas, si ce n’est au moment de revoir celui pour qui elle gardait au fond d’elle des sentiments inavouables de par l’éducation qu’elle reçut et l’étiquette qui la maintenait à l’écart du jeune héritier.

Tous les murs s’effondrèrent lorsque juvénile mais jeune adulte, elle revit son premier amour, les yeux cachés derrière des lunettes teintés, mais masquant un visage qui avait vécu beaucoup trop de haine pour rester celui de l’enfant innocent qu’elle eut connu, autrefois. Kyojuro était mort sur le champ de bataille, et Kyo prit la relève, gardant Enma à sa ceinture. Abolissant cette étiquette qui les séparait depuis bien trop longtemps, le jeune homme avait tenu une promesse qu’il avait faite à son amie, prisonnière de ces chaînes immenses et qui n’avaient alors plus lieu d’être en ces temps modernes.

« Vis ta vie comme tu souhaites le faire Yuna. Je t’encouragerai toujours. »

Quelques mots, mais une véritable clé qui menait au cœur de la jeune femme d’une vingtaine d’années, ancrée jusqu’à l’âme dans les traditions imposées par son Grand-Père, ayant perdu la vie à peine la majorité de Yuna passée. Beaucoup de tristesse, beaucoup de charge sur les épaules, mais une force insoupçonnée pour cette Oiran, qui prit son destin en main et sa vie, qu’elle dédia aussitôt à sa plus grande passion : la couture.

Un fil, un simple fil qui manipulé avec passion, avec adresse, permettait de réchauffer quelqu’un, de l’habiller et d’en faire quelqu’un de neuf. Une aiguille, qui de fil en fil s’aiguisait et devenait de plus en plus précise, moins indécise. Une vie, qui mêlait traditions, culture et modernité progressive et rayonnait à l’échelle de l’archipel Sabaody.

Enfant, cette activité constituait, à la manière de poèmes pour les écrivains tiraillés par la réalité, une échappatoire à son destin cloué sur un mur, auquel elle ne pouvait se soustraire. Un art, qui ne tenait qu’à un fil. Un art, auquel vint pousser des ailes blanches, immaculées, celles de la liberté. Un fil rouge tissé un jour entre celui qui se faisait nommer « Maître Kebabier » et « La Tisseuse de rêves ».

Pour autant, aussitôt gouta-t-elle à la liberté qu’une seconde personnalité lui poussait. Plus espiègle, conservant un aspect taquin qu’elle avait pendant son enfance et qu’elle ne montrait que sous un état second ou en compagnie du Kebabier. Dans ces cas-là, elle avait le sang bouillant et la lame habile, faisant d’elle aussi bien une femme à tomber, qu’un danger à éviter pour les âmes les plus curieuses.

Espièglerie, Douceur, une pincée de folie acquise au cours de ses années de liberté. Yuna est une femme qui s’est tissée, fil après fil, les yeux rivés sur le même homme, aussi loin fusse-t-il dans sa quête.