Le temps était au beau fixe sur Green-Bit. Après être clandestinement rentré sur ce sol à quelques lieux seulement du fief de l’un de ses principaux adversaires, Kagura arriva sur les lieux du rendez-vous qu’elle avait donné à une ancienne connaissance.
Sans être réellement stressée, la jeune femme appréhendait légèrement cette entrevue. Après tout, il n’était pas commun de retrouver un ex-petit copain après presque dix ans de séparations alors que l’un et l’autre et toutes les raisons de du monde de s’étriper (au sens le plus littéral du terme).
Kagura était devenue l’un des quatre empereurs pirates des mers… Une criminelle recherchée activement par le gouvernement qui venait d’atomiser une île entière.
Maniel se présentait comme un modèle de vertu et de justice… Mais il se trouvait aussi dans le camp de ceux qui prétendaient légiférer le monde quitte à détruire ce qui contestait leur légitimité. Une hypocrisie qui ne collait pas à l’homme qu’elle avait jadis aimé. Elle avait soigneusement pris soin de ne pas croiser la route de cet homme depuis sa fuite de prison. Mais maintenant qu’elle avait était adoubée impératrice des mers, il était hors de question de laissé quelques vieux démons dans ses placards. Elle avait décidé de prendre les devants et d’inviter son amour de jeunesse à un rendez-vous.

Bien entendu, elle avait pris soin de cacher ses traces, lui adressant des coordonnées précises et en signant Shiroichō (le papillon blanc). Un surnom qu’elle s’était donné en prévision du poste d’Amirale dont elle rêvait tant à l’époque.
Une époque qui semblait sortir tout droit d’un rêve étrange et idyllique. Elle était différente à l’époque, la vie n’avait pas encore eu le temps de planter ses griffes dans sa chair.

Elle arriva finalement devant un lac. Une légère brise balaya son visage et d’un geste précis, elle ajusta une mèche de cheveux derrière son oreille.
Les lieux dégageaient une sérénité d’un autre monde. Les eaux limpides de l’étang réfléchissaient un ciel bleu où flottaient paresseusement quelques nuages. La paix semblait régner en maitresse absolue ici et l’impératrice s’étonna à y retrouver une forme de réconfort.
Voilà longtemps qu’elle ne s’était pas abandonnée à la contemplation du ciel pluôt qu’aux chants des canons.

Elle était arrivée la première. Avec précaution elle s’approcha du lac. Sa robe noire était assez courte pour qu’elle puisse avancer dans l’eau jusqu’à hauteur de genoux, soit juste assez submergée pour que la sensation ne devienne pas trop désagréable.
Elle perçut un léger bruissement dans son dos et elle sut qu’il était arrivé. Elle ne se retourna pas vers lui, contemplant d’un air insondable l’étendue d’eau qui s’étalait devant elle.
L’instant semblait fragile, cristallisé dans un méandre d’émotion et de ressentiment. Elle avait la nette impression que la moindre parole pourrait détruire ce fragile équilibre et faire basculer à jamais une page de sa vie dans un sens ou dans l’autre.
Pourtant elle prit la parole. D’une voix douce et claire et toujours sans se retourner vers lui.

« Je ne me rappelle pas de mon dernier bain. C’est idiot… Mais même si cela fait longtemps et que je n’en ai plus de souvenir, cela me manque quand même. Cela donne l’impression que même s’ils sont oubliés, les souvenirs ne sont pas vraiment perdus. »

Cela en était de même pour lui. La prison avait étiolé ses souvenirs mais pourtant, quelque part en elle, il lui avait terriblement manqué.

« Une amie précieuse m’avait dit que les souvenirs ne disparaissent jamais vraiment, ils sont le reflet de nos expériences. Tu vas bien petit papillon ? »

Kagura médita ses paroles et la question que lui avait adressées son ancien camarade pendant quelques secondes. Après avoir pris assez de temps pour réfléchir, elle se tourna simplement vers lui. Une nouvelle brise emporta quelques-uns de ses cheveux qu’elle ne prit cependant pas la peine de discipliner.
Les yeux ambrés de la cornue se plantèrent dans ceux de son ancien amant. De là où il était, Maniel pouvait-il de voir la larme silencieuse qui coula le long de sa joue ?

« Pas trop… » Reconnu-elle dans un petit sourire fade. « Je… Je ne distingue plus vraiment le rêve de la réalité… Et la réalité du cauchemar. J’ai l’impression d’avoir vécu 100 vies… qui me ramènent tout à toi. »

Tout s’était passé si vite et pourtant avait semblé durer des siècles… Où était la gamine fauchée des faubourgs de Rinshin ? L’aspirante de la marine qui cherchait à faire ses preuves ? La commandante qui avait choisi sa carrière plutôt que l’amour ? Elles avaient été ensevelies par la vie… Elles avaient été remplacées par la prisonnière… La pirate… la commandante de flotte et pour finir… L’impératrice des cendres.

« Tu nous as préparé quelques douceurs ? » Fit-elle remarquer en hochant la tête vers le panier que l’amiral avait pris avec lui.
** Ne lui fais pas confiance...** Murmura une voix à son oreille. ** Il fait partit du problème… Il te reconduira en prison… Tue-le maintenant… Débarrasse-nous de lui et tu seras sauve… Tu vivras libre… **
Elle déglutit bruyamment, laissant ses yeux un peu apeurés se promener pendant quelques secondes sur le visage de Maniel comme pour y déceler un quelconque signe de duplicité.
« Non… » Répondit-elle à voix basse... « Non je peux lui faire confiance… » Elle leva les yeux vers lui, encore fois ils étaient plein de larmes, presque implorantes. « Je peux te faire confiance Maniel ? Tu ne me reconduiras pas là-bas… Pas vrai ? »

Il était rare, voire même inédit, de la voir aussi vulnérable. Elle ne se serait pas abandonnée à de tels étalages devant des membres de son équipage.
Elle devait être forte… Des gens comptaient sur elle maintenant ! Mais c’était différent avec lui. Au moins pour aujourd’hui… Au moins pendant ce bref moment de paix. Ils étaient dans l’œil du cyclone, pour le moment, rien ne pouvait leur arriver.
Elle tendit alors sa main vers lui, l’invitant à la saisir et à se rapprocher d’elle.

Il était étrange se laisser aller ainsi. D’oublier pendant un instant le tour tragique qu’avait pris sa vie. Un frisson la saisit quand il rabattit l’une de ses mèches de cheveux rebelles. Un autre quand il accepta de lui prendre la main.
L’espace d’un instant, elle s’imagina ce que la vie pourrait être si tous les deux décidaient de fuir ce monde et de s’installer sur une île déserte. Elle aurait aimé pouvoir se projeter dans cette vie… Au moins plus de quelques secondes. Mais la rancune, la haine et le désir avaient allumé un nouveau feu en elle. Il était difficile de croire à ce jour qu’elle soit capable de mettre tout ça derrière elle. Mais aujourd’hui était un jour différent. Aujourd’hui elle voulait être Kagura qui s’adresse à Maniel et non pas l’impératrice des cendres s’adressant à l’amiral Kindacho.

“Je n’ai pas le projet de t’y amener Kagura ni aujourd’hui ni demain. J’ai repris ton histoire du début jusqu'à maintenant. J’ai parlé avec les gens mêlés à cette parodie de justice, et je leur ai montré la vraie justice. Faux témoignages, corruption, abus de pouvoir, tous ont eu ce qu’ils méritaient. Peut-être ce n’était pas grand chose, mais tu n’es pas seule, je suis là.”  

Le souffle de Maniel balaya son visage et l’espace d’un instant elle voulut gratifier ses lèvres qu’elle connaissait si bien d’un dernier baiser.
Mais elle n’était pas là pour ça… Elle repoussa son envie aussi fort qu’elle le pouvait, essayant de faire abstraction de l’étrange sensation de pesanteur qui venait d’apparaitre dans sa gorge et qui faisait le yoyo jusqu’à son ventre.

« Si un jour il est question de me livrer à la justice… Ou de m’abattre… J’espère que tu n’oublieras pas ses paroles et que tu feras le bon choix. »

Avec un authentique sourire désolé, elle passa doucement le dos de sa main contre la joue du militaire, un geste d’une tendresse qu’elle ne se savait plus capable.
C’était cruel… Elle le savait. Mais elle en ferait autant pour lui. Surement la plus belle preuve d’amour qu’elle pouvait lui offrir et qu’elle attendait de lui.
Se damner plutôt que de laisser l’être aimé plonger dans des abysses infernaux.
Parce qu’elle était plus que Kagura Araki et parce qu’il n’était nul autre que l’amiral Kindacho. Elle se décolla à contrecœur de lui sans pour autant lui lâcher la main. Elle l’entraina à sa suite vers le rivage.

« Allons déguster ce vin que tu nous as emmené… Et discutons. Discutons comme de vieux amis qui ne se sont pas vus depuis bien des années. »

Elle avait bien des sujets dont elle souhaitait s’entretenir avec lui… Certains plus délicats que d’autres. Elle savait qu’inexorablement ils arriveraient à un point de non-retour et elle ne s’attendait pas à ce qu’il suive le même chemin qu’elle.
Pourtant… elle avait un plan. Un plan simple et qui allait s’échelonner sur le long terme. Mais avant d’en arriver là, pourquoi ne pas commencer avec un bon rouge de South Blue ?

“ Aux retrouvailles de vieux amis alors Kagura, tchin ”

Kagura bascula son verre et laissa une première gorgé de vin flatté son palais. Elle déglutit doucement avant de pousser un authentique soupir de satisfaction.
Il allait falloir qu’elle pense à remplir la cave de son nouveau domaine… Importer du vin de contrées aussi reculées que les Blue promettaient d’être compliqués en revanche. Peut-être devrait-elle se rapprocher du marché noir pour pouvoir en acquérir quelques bouteilles.

« Cela m’avait manqué… » Un petit sourire espiègle accroché au visage, elle reprit. « J’imagine que nous définir comme de vieux amis est un peu en dessous de la vérité. » Elle poussa un bref soupir avant de se tourner vers le lac. « Cela me semble si… irréel. N’as-tu jamais l’impression que cette vie, celle où l’on… » Elle marqua une pause, chercha ses mots une poignée de secondes avant de reprendre. « … où l’on était ensemble… n’as-tu pas l’impression qu’elle a appartenait à quelqu’un d’autre… » Elle porta le verre à ses lèvres colorées d’un rouge vif pour l’occasion. « Parfois, j’ai l’impression d’essayer de me souvenir d’un rêve… Cela me semble trop irréel… Trop déconnecté de nos vies… »

L’impératrice accepta l’invitation de l’amiral et s’assit près de lui sur le sable. Elle replia ses jambes posa ses avant-bras sur genoux, tenant toujours son verre de vin à la main.

“ Parlons alors ma chère, dis moi ce que tu veux me dire, pose-moi les questions que tu veux me poser, j’essaierai d’y répondre. ”

Elle sentait dans sa voix que lui aussi avait peur d’aborder LE sujet sensible. Elle le connaissait bien, lui et son sens de la justice. Et elle savait déjà que jamais il ne serait capable de comprendre ce qu’il avait poussé à attaquer avec tant de férocité Vasuvia.
D’ailleurs, elle ne lui demandait pas de comprendre ou de cautionner. Il n’était pas capable de le faire, il n’avait pas vécu ce qu’elle avait vécu. Cependant, au nom de leur histoire et par respect pour lui, ce rendez-vous était nécessaire.

« Commençons par des sujets assez simples et qui ne marquera pas directement la fin de se rendez-vous… » Le formuler ainsi à haute voix avait pour but de détendre l’atmosphère et de lui faire tacitement comprendre qu’elle avait conscience de ce qu’elle avait fait et de ce qu’il devait penser d’elle. « Première salve de questions… prépare-toi amiral… pour commencer… Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu rentres chez les marines ? Tu es passé dans le lit de qui pour être devenu si rapidement amiral et surtout... » Elle marqua une pause calculée, planta ses iris ambrés dans ceux de Maniel. « … Réfléchis bien avant de me répondre… Je le saurais si tu me mens… Y a-t-il ou y a-t-il eu une madame Estellian ? »

Kagura écouta sans broncher la diatribe de son ancien amant. Comme d’habitude, il était… terriblement sérieux, bon, généreux… Et vrai. Surement la qualité qu’elle lui préférait.
Visiblement, Maniel n’était pas prêt à suivre docilement le sentier balisé qu’avait préparé Kagura. Cette dernière aurait préféré venir progressivement aux sujets qu’il fâche, mais les faux semblants n’avaient jamais été son fort.
Il était soldat, pas politicien. Une autre de ses qualités.
Si la cornue était satisfaite de savoir qu’il n’est pas fréquenté de fille depuis quelques années déjà, elle fut momentanément surprise par son aplomb et la vitesse avec laquelle il avait recentré le débat sur les vraies raisons de leur présence ici.
Elle fixa l’horizon quelques secondes, choisissant ses mots avec soins.

« Quand je suis sortie d’Impel Down je ne savais plus qui j’étais et il m’a fallut quelque temps et l’aide d’un ami pour me réinventer. J’en suis venu à la conclusion que la vie n’avait de sens que si on lui en donnait un. J’étais… En colère… Je voulais me venger… J’avais besoin de diriger cette colère sur quelque chose pour ne pas exploser. »

Ses yeux tombèrent sur le liquide rouge de son verre et elle remua doucement la coupe, observant l’éclat du breuvage quelques instants.

« J’ai retrouvé ma mère. Elle m’a aidé à sortir de prison… Et elle m’a appris que mon père avait été tué par un vice-amiral. C’était quelqu’un mon père ! Un mauvais caractère, un peu bourru… Et quand il a su que j’avais étais mis en prison et qu’il a commencé à poser les mauvaises questions, le gouvernement n’a pas hésité à le tuer. J’ai su vers où je devais orienter toute cette colère… Oh, je sais… Ce n’est surement pas très sain de vivre là-dedans… Mais c’est ainsi. »

Elle se tourna vers lui et planta ses yeux ambrés dans les siens.

« Je suis une pirate Maniel. Kagura Araki EST l’impératrice des cendres ! Je cherche la liberté… Je m’affranchis des règles qu’un gouvernement que je n’ai pas choisi essaye de m’imposer. Ooooh.... » Ricana-t-elle. « … Je ne suis pas comme ses crétins de révolutionnaire qui prétendent être parfaits et qui pensent distribuer lumière et compassion par chacun de leurs orifices… J’ai commis bien des crimes pour en arriver là et j’en commettrais surement d’autres. Je ne peux pas accepter de vivre pour eux… de m’engager pour eux… Ou même de rester impassible ! Ils ont pris ma vie… Celle de mon père… Celle de… »
Elle se ravisa, se mordit les lèvres et détourna le regard pour qu’il ne puisse pas lire dans ses yeux l’ombre qui venait de s’y glisser.
« Je ne suis pas un monstre. Je connais le poids de mes crimes et j’en endosse la responsabilité. J’entends les cris de mes victimes… à chaque fois que je ferme les yeux… J’entends les hurlements des prisonniers que le gouvernement… TON gouvernement préfère torturer plutôt que de tuer… Crois-moi, cela serait bien plus humain. Je ne sais pas ce que tu attends de moi Maniel. Je sais que tu es intelligent, que tu es juste… que tu as de l’honneur ! Tu travailles pour un des monstres qui ont assassinés par millions ! Bien plus que je ne pourrai jamais le faire dans ma vie, bien plus que n’importe quel pirate, révolutionnaire ou autre criminel. Alors, dis-moi amiral… En quoi VOS crimes sont-ils acceptables que les miens ? Que les notre ? Et qui vous jugeras vous ? » Elle insistait volontairement sur le "vos", en tant qu’officier supérieur, il devait aussi assumer la responsabilité de l’organisation qu’il avait choisi de rejoindre. Le contraire serait d’une innommable lâcheté. « En quoi assassiner des indépendantistes qui ne rêvent que de liberté est plus juste de que d’abattre des soldats qui occupent une île qui ne leur appartient pas ? Je ne te prends pas pour un hypocrite… mais je pense que tu te trompes. »

Elle se leva, n’étant pas capable de rester sagement assise devant quelque chose qui lui semblait pourtant si élémentaire… Si simple !

« J’ai eu dans ma jeunesse l’espoir de changer les choses. J’étais comme toi… Je me voyais révolutionner la marine, la rendre plus indépendante… Mais ce n’est pas possible. La marine est à la botte du gouvernement mondial et que tu le veuilles ou pas, tu es aux ordres des scaphandriers dont tu me parlais toute à l’heure. Amiral ou pas… Tu n’es qu’un soldat Maniel. Je me suis hissé au-delà de mon ancien statut de soldate pour être capable de changer les choses à ma façon et je ne n’ai jamais prétendu que cela soit la meilleure… mais j’essaye ! Dis-moi… Au lieu de t’évertuer à changer la marine pourquoi n’essayerais-tu pas de changer le monde à mes côtés ? Marche avec moi… Aide-moi à dompter mes démons… aide-moi à créer un monde plus juste… j’ai besoin de toi ! »

Le souffle court, elle ne s’était pas rendu compte que le verre qu’elle tenait en main avait complètement fondu tant la chaleur qu’elle dégageait tout autour d’elle était forte.

« Je ne vais pas te l’apprendre Maniel. Il est bien plus facile de planter un nouvel arbre que d’en redresser un de tordu. » Ne dit-on pas que l’arbre qui nait tordu ne redresse jamais son tronc ? (Zoé Valdés)

Kagura usa du même respect que Maniel avait utilisé pour l’écouter. Et alors qu’il finit son monologue pour lui tendre la main, elle ne put lui répondre que par un sourire. Il n’était pas empreint d’ironie, elle respectait trop l’homme et ses valeurs pour lui manquer de respect.

« Je ne peux pas faire ça Maniel. Je ne vendrais pas mon âme au diable… Je préfère encore le devenir et choisir mes propres combats. » Elle s’approcha de lui et lui saisit tout de même la main qu’il lui offrit. « Tu sais très bien que devenir corsaire n’assurera pas que j’arrêterai de tuer. Si je suis la voie que tu me proposes, ce sont d’autres personnes qui me diront vers qui diriger mon magma. Des victimes qui sont susceptibles d’être aussi innocentes que celle que j’ai déjà fauchée. Inutile que je te parle du massacre d’Ohara ou d’autre Buster Call. » Elle porta la main de l’amiral jusqu’à ses lèvres y déposa un baiser. « Ce n’est pas grave. Observe-moi… Et observe ton gouvernement. Juge nos actions… Regarde qui de moi ou de tes dragons célestes agit avec plus de dignité et de discernement. Puis reconsidère mon offre. Cela étant dit, il y a une dernière chose que je veux que tu saches. J’ai longtemps hésité à t’en parler, mais tu es presque aussi concerné que moi… donc… »

Elle baissa légèrement les yeux pour ne pas croiser son regard. « Sache que ce n’est pas un argument visant à te faire changer d’avis. Je n’ai pas comme toi, appris par cœur une liste de nom et de prénom des victimes du gouvernement. En revanche, il y en a une qui requiert ton attention. » Avec douceur, elle emmena la main du jeune homme jusqu’à son ventre. « Je… Je pense que c’était une petite fille. Je ne savais pas que j’étais enceinte avant d’être transférée à Impel Down. Les médecins… Si on peut appeler ça comme ça, ont appelé ça un déni de grossesse. Elle est morte là-bas. J’ai eu le temps de réfléchir à comment je l’aurai appelé. Alors… » Ses yeux ambrés croisèrent ceux de Maniel. Sa voix devint malgré elle plus acide. Elle réouvrait une plaie dans son cœur qui n’avait pas eu le temps de cicatriser et malheureusement, elle s’apprêtait à en ouvrir une nouvelle dans le cœur du soldat. «... Alors, ajoute ce nom à la liste des victimes du gouvernement. Kohana Estellian. » Elle lui lâcha la main et recula de quelques pas, de nouvelles larmes lui montèrent aux yeux. Elle n’avait jamais prononcé le nom de celle qui aurait dû être sa fille… son sang… à haute voix.

« Ne t’avise pas de m’infantiliser… De me prendre de haut avec tes “jeunes filles”. J’ai mes raisons de mener se combat et je les pense plus légitimes que les tiennes. Kagura n’était pas assez forte pour se combat. Pour protéger sa fille. L’impératrice des cendres n’est pas aussi faible. J’aimerais pouvoir croire en ton monde… À un monde où la fin ne justifie pas les moyens… Je te rendrais la pareille. Prouve-moi que le gouvernement peut changer… Chasse les esclavagistes et rends cette pratique interdite. Absous les privilèges des dragons célestes… Réussis à conquérir les cœurs des révolutionnaires qui revendiquent leurs indépendances. Ne réussis qu’un seul de ses prodiges, sans verser de sang innocent, et je réfléchirais à ta proposition. Pendant ce temps je m’appliquerais à étendre mon empire. Un empire plus juste tel que nous en discutions quand nous étions plus jeunes. »

Kagura serra la mâchoire et se retint de toutes ses forces de ne pas se jeter dans les bras Maniel pour pleurer avec lui leur fille. La seule personne avec qui elle pouvait vraiment la pleurer.
Pour la première fois depuis son arrivée, elle avait l’impression que le soldat baissé la garde et la laissait voir par delà le masque de l’amiral.
Pourquoi était-il si difficile d’accéder au cœur des hommes ? Quelle nécessité y avait-il à cacher ses blessures derrière un masque de fierté ?
Kagura les brandissait comme une bannière. Sa fille, ses années de privation et d’humiliation étaient un rappel constant de la raison pour laquelle elle avait pris les armes. De pourquoi il n’était pas envisageable de détourner le regard du passé et de faire comme si de rien n’était.

Il aurait été surement bien plus confortable que d’accepter la proposition de Maniel. Devenir corsaire signifiait ne plus être poursuivi par le gouvernement et ses sbires. Mais elle n’avait pas le droit de détourner ses yeux.

« Ne dis pas n’importe quoi… » marmonna-t-elle. « Tu aurais bien entendu été digne d’être son père ! » Elle but une gorgée du verre qu’elle avait légèrement fait fondre. « Je suis déçu que tu fasses plus confiance au gouvernement qu’en moi… J’aurais aimé que tu croies en mon projet et en mes rêves… Mais je ne suis pas aveugle au point de ne pas voir quel merveilleux père tu aurais été pour elle. Tu es quelqu’un de valeur Maniel. Je ne t’aurais pas offert mon cœur si cela n’avait pas été le cas. » Elle vida d’une traite ce qu’il restait dans le contenant avant de le lui rendre. « Je n’ai pas perdu espoir que tu me rejoignes. Je suis sûre que tu finiras par ouvrir les yeux… Et que tu comprendras que ta place est auprès de moi. »

Car s’il estimait ne pas avoir été capable de la soutenir au moment de son incarcération, comment définir son refus aujourd’hui ? Comment pouvait-il préférer servir un gouvernement responsable de la mort de sa fille que de soutenir son ancien amour, meurtri et blessé par ses nouveaux maitres ?

Kagura écarta les bras pour désigner les lieux.
« Cet endroit est magnifique n’est-ce pas… Cette île appartient à des gnomes de la même espèce que Spike. Mais… depuis quelque temps, ils ont tous disparu. De nombreux témoins affirment que le gouvernement est derrière ça, qu’ils ont déporté toute la population. »
Kagura haussa des épaules, comme si elle venait de faire une démonstration élémentaire. 2 +2=4 ? Alors, déporter une population = Être une sacrée bande d’encu.... bref… « Que dirais-tu de mener l’enquête ? Tu découvriras peut être que le tes maitres ne méritent surement pas quelqu’un de ta valeur dans leur rang… Et Dieu sait quel drame tu parviendras à éviter. »

C’était peine perdue. Même si cette rencontre n’avait jamais eu pour seul but de le convaincre rejoindre sa cause, une profonde sensation de déception enserrée le cœur de l’impératrice.
Maniel avait fait son choix. Changer la marine, en faire quelque chose de meilleur. C’était louable, il restait cet homme de conviction qu’elle avait connu lors de sa jeunesse. Pour autant, elle ne pouvait comprendre son choix.
Changer la marine… Il faudrait plus d’une vie pour atteindre son but et pendant ce temps, le monde continuerait de tourner dans la même direction.
Pourtant, il fallait qu’elle reconnaisse que ses propres objectifs n’étaient pas qu’altruiste. Elle pensait faire tout de même mieux que ce gouvernement défaillant.

Elle avait quelqu’un d’autre en tête. Celui qui s’apparentait le plus à un meilleur ami malgré le peu de temps qu’ils avaient passé ensemble.
Le lion rouge serait lui aussi difficile à convaincre… Mais peut-être que le héros avait envie de choisir lui-même ses combats plutôt que de laisser quelques nobles lui pointer du doigt ses prochaines victimes.

« Oui, les cendres forment un engrais formidable…  » Sourit-elle. « Imagine le duo que nous aurions formé. »

Une chimère… Pour l’heure en tout cas. La prison avait appris à la cornue l’endurance et Kyo à ne pas perdre espoir.
Avec ses armes en main, elle ne baisserait pas les bras et ne se laisserait pas atteindre par ce qui n’était qu’au final, qu’un premier refus.

« Oui nous la reverrons ensemble au bout du chemin. Mais, pas encore… » Elle sourit à Maniel, s’approcha de lui et déposa un baiser à la commissure de ses lèvres. Elle se pencha ensuite au creux de son oreille pour lui murmurer : « Je n’ai pas encore perdu tout espoir que tu acceptes de me rejoindre. Essaye juste de ne pas mourir d’ici là ! » Elle s’arracha douloureusement à ses bras et commença à partir en marche arrière. « Je n’ai pas le temps de danser et de chanter… Mais je te promets de faire le maximum pour être heureuse. Je compte sur toi pour en faire de même. N’oublie pas de m’observer Maniel et si jamais tu as un problème… Je serais là. »

Elle leva sa main vers lui et s’enfonça dans l’épaisse jungle de l’île.
À l’autre bout de l’île, une barque l’accompagnerait à son navire qui était amarré à une dizaine d’heures d’ici.
Elle ne savait pas quoi penser de cette entrevue. Elle était passée par tous les états, de la colère à la joie en passant par la tristesse. Maniel avait su l’écouter, mais elle n’avait pas réussi à le convaincre. Il était toujours cet homme épris de justice qu’elle avait connu… Elle regrettait cependant qu’il ait décidé de miser sur autre chose que l’équipage des cendres.
Malgré tout, elle ne voyait pas pourquoi son Arcadia ne serait pas un merveilleux signe d’espoir ailleurs que dans la marine.

Mais le plus important c’était qu’elle venait d’affronter l’un de ses principaux fantômes du passé, surement celui qui trainait derrière lui le plus de ressenti, de peur et de doute.
Elle s’était libérée d’un poids et pouvait continuer plus sereinement sa quête… Devenir la reine des pirates et construire un Nouveau Monde.